L’univers religieux du Vietnam est riche et composite. Il comprend des cultes dits « autochtones » – cultes aux esprits, bouddhisme, taoïsme, – qui se chevauchent, s’enchevêtrent et côtoient le catholicisme. Les religions constituent une mosaïque que l’on retrouve au CAFI. Les pratiques s’y côtoient et s’entremêlent parfois, la religiosité n’imposant pas l’exclusivité.
Le catholicisme constituait la religion majoritaire des habitants du CAFI (60%). La plupart étaient originaires du nord du Vietnam, région où les missionnaires chrétiens ont été très actifs. La chapelle, ouverte en septembre 1956, fut installée dans un des baraquements aujourd’hui préservés. Deux prêtres des Missions Etrangères officièrent successivement au CAFI de 1956 à 1990. Leur longue expérience au Vietnam motiva leur envoi auprès des familles du CAFI : vietnamophones, au fait de la culture vietnamienne et des pratiques religieuses des catholiques de ce pays.
Le rôle prosélyte des missionnaires ne fut pas toujours apprécié des résidents dont certains ont gardé un souvenir amer. Bien que la plupart des rapatriés se soient déclarés catholiques à leur arrivée, seul un petit nombre d’entre eux étaient en fait exclusivement catholiques. En France, des adultes se sont convertis, mais ils firent surtout baptiser leurs enfants, moins par conviction religieuse que par souci de se rapprocher de la norme française. Selon certains témoignages, le baptême des enfants résultait de la pression exercée par le prosélytisme du prêtre et par le représentant de l’administration : « On m’avait dit que les enfants ne pouvaient pas aller à l’école française s’ils n’étaient pas baptisés ! » explique une mère de famille, bouddhiste et disciple des génies, dont les dix enfants, baptisés ensemble « à la queue leu leu », ont fréquenté le catéchisme et l’église du camp.
Témoins du CAFI : Les cultes religieux
Les pratiques familiales concernent en premier lieu les cultes aux esprits familiaux – dont le culte aux Ancêtres est l’archétype – et ceux rendus aux autres esprits et aux génies. Á Sainte-Livrade, un grand nombre de résidents du CAFI ont poursuivi leurs pratiques traditionnelles. Ils ont élevé des autels à l’extérieur et à l’intérieur des logements.
Le bouddhisme qui domine à Sainte-Livrade est le courant le plus répandu au Vietnam : le « Mahayana » ou « grand véhicule ». Pendant quelques années, les bouddhistes n’eurent d’autres lieux de culte que les autels édifiés dans leurs logements. Les responsables de l’administration leur accordèrent en 1962 un baraquement inoccupé pour y établir une pagode. Sa particularité est son aménagement où se côtoient les espaces dédiés au Bouddha et ceux consacrés aux cultes des Génies ; un voisinage très proche qu’on ne rencontre pas au Vietnam.
A sa création et jusque dans les années 1980, la vie de la pagode était très animée, avec une fréquentation importante à la fin des années 1960 autant de bouddhistes « orthodoxes » que de disciples des Génies.Les bouddhistes prient à la pagode mais également devant l’autel bouddhique familial. La sacralité du Bouddha imposant son éloignement des souillures du monde matériel, l’autel est toujours placé le plus haut possible dans la pièce, presque au niveau du plafond. Enfin, il faut noter que les résidents du CAFI ont aussi participé à la création de la grande pagode de Villeneuve-sur-Lot.
Alors que les bouddhistes orthodoxes placent le culte des « Génies » du côté des religions populaires, hors du bouddhisme « authentique », les pratiquants ne perçoivent pas de rupture entre pratique bouddhique et culte des génies. Pour les Vietnamiens, les esprits ou « Génies » sont détenteurs de pouvoirs bénéfiques et/ou maléfiques et peuvent influer sur le cours des vies terrestres. Ils sont invoqués pour protéger, conseiller et préserver ou recouvrer la santé. Au cours de cérémonies très ritualisées, les Génies, s’incarnent dans les humains, des femmes surtout. Elles sont les médiums qu’ils ont choisies, « appelées » et par l’intermédiaire desquelles ils s’expriment. Plusieurs générations de femmes, de la grand-mère à la petite fille, sont servantes des Génies, en vietnamien : les bà dông.La cérémonie, le lên dông, est généralement organisée et officiée par une seule médium. Y assistent, des invités : autres servantes, membres de la famille et amis. La possession est de forme « heureuse ». Les Génies : mandarins, dames, princes, demoiselles, enfants, s’incarnent successivement dans un ordre hiérarchique décroissant au cours d’une cérémonie qui dure de quatre à huit heures. Chaque génie effectue un rituel spécifique devant l’autel, en musique, et prodigue protection et conseils dans un vietnamien ritualisé. Ils offrent des dons aux invités, les loc ou « bonheurs » sous forme d’argent, de fruits, de bonbons, de gâteaux et divers petits objets achetés au préalable par la médium. Après les incarnations, la cérémonie ne prend véritablement fin qu’avec le repas auquel sont conviées toutes les personnes présentes. Ce culte est généralement peu connu de la population et il est généralement confondu avec des pratiques bouddhiques. Une méconnaissance qui s’explique par le peu de curiosité des Livradais et la discrétion des bà dông. Elles tiennent à la fois à préserver la représentation positive du bouddhisme et à ne pas susciter de suspicion, connaissant la connotation suspecte, voire négative des termes « possession » et « médiumnisme » en France.
Ainsi, à Sainte-Livrade, hormis quelques familles exclusivement catholiques, la majorité des enfants des rapatriés ont grandi dans l’environnement pluri-religieux propre à la conception vietnamienne. La plupart perpétuent encore certaines pratiques. Mais du fait de l’acculturation formelle à la société française et de la position minoritaire de ces croyances, les pratiques s’appauvrissent et tendent à disparaître chez la quasi-totalité des enfants et des petits-enfants des premiers migrants.
Le culte des Génies des quatre Palais : Rencontre avec Pierre-Jean-Simon
Le culte des Génies des quatre Palais : Les préparatifs de la cérémonie.Extraits du film : Les Génies des Quatre Palais, ©cnrs
Le culte des Génies des quatre Palais :La cérémomie.Extraits du film : Les Génies des Quatre Palais, ©cnrs
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