De la douleur du déracinement à la nostalgie des souvenirs de jeunesse, la mémoire du CAFI n’est pas identique d’une génération à l’autre.
L’histoire n’a pas toujours été transmise. Les rapatriés d’Indochine sont souvent restés discrets, même auprès de leurs familles, sur les raisons qui les ont menés au CAFI et sur les conditions dans lesquelles ils y ont vécu. Et c’est tout le mérite des associations d’avoir éveillé la curiosité des jeunes générations pour l’histoire de leurs parents. L’étude des associations du CAFI met en évidence leur rôle essentiel dans le processus de mémorialisation du CAFI qui s’articule autour de trois axes : la promotion de la culture, la demande de reconnaissance, la défense du lieu comme élément historique et patrimonial. Leurs actions traduisent la volonté de transmettre une mémoire qui ne soit plus seulement individuelle, familiale mais de lui donner une dimension collective. Choix difficile car source de contestations, de tensions, de rapports de force entre les acteurs associatifs comme le montre dans un premier temps un développement associatif par scissions suscitées par des points de vue divergents sur le traitement de l’histoire, de la mémoire.
Il est plus difficile d’étudier la mémoire du CAFI du côté des Français de Sainte-Livrade, sinon, au travers de tout ce qu’ont pu faire les municipalités qui se sont succédé depuis 1956 et des témoignages de ceux qui ont fréquenté les rapatriés. Mais il est certain que, au-delà de la crainte que suscite toujours l’arrivée massive d’une nouvelle population, les rapatriés d’Indochine font l’objet d’une perception positive de la part de la population locale, à laquelle ils sont parfaitement intégrés aujourd’hui.
C’est avec les projets de transformation, voire de disparition du CAFI que beaucoup ont saisi l’urgence de la question de la mémoire de l’histoire de ses habitants rapatriés d’Indochine. Et ce, de façon d’autant plus pressante que les projets s’orientaient vers une démolition des baraquements, plutôt qu’une simple « rénovation » des lieux existants. Lorsqu’en 2006, la rénovation se concrétise sous l’égide de l’ANRU, la création d’un lieu de mémoire est spécifié dans le cahier des charges de la requalification du CAFI avec un budget dédié. Si la majorité des bâtiments sont voués à démolition, quatre bâtiments sont conservés, faisant l’objet d’une protection au titre des monuments historiques, en mémoire du lieu et à l’usage des associations du CAFI. celles-ci se sont impliquées très tôt dans la réflexion sur le lieu de mémoire et, avant même sa mise en place par les pouvoirs publics, ont organisé des manifestations publiques s’inscrivant dans cette logique mémorielle. Le rendez-vous annuel le 15 août en est le plus emblématique.
La présence des Français rapatriés d’Indochine a engendré un certain nombre de manifestations, certaines régulières, d’autres plus ponctuelles. Avec le temps certaines des manifestations, notamment culturelles, qui se déroulaient dans l’entre-soi du camp, se sont ouvertes à un plus large public jusqu’à faire partie des évènements marquant la vie culturelle livradaise, voire au-delà. De même, l’histoire des rapatriés après une longue période de relégation, bénéficie de la reconnaissance de tous, comme le montrent les commémorations célébrées avec force faste et présence des pouvoirs publics.
La tradition de rencontres autour du 15 août a commencé bien avant la question de la mémoire. Dès la fin des années 1980, les jeunes générations ayant quitté le CAFI s’y retrouvaient au mois d’août autour de parties de pétanques, de tournois de football et de repas entre amis.
Avant d’être un temps de mémoire, le 15 août était surtout un temps de retrouvailles. Les enfants étaient en vacances chez la grand-mère ce qui donnait au camp une ambiance très animée. La direction s’inquiétait d’ailleurs de l’augmentation de la circulation automobile dans le camp et éprouvait quelques problèmes à gérer les logements vides réquisitionnés pour les vacances. D’un simple moment de convivialité entre anciens résidents, ce rendez-vous finit par rassembler les « anciens » du CAFI et un public varié : vacanciers et population des environs sensible à cette histoire ou intéressée par les animations proposées. A cette occasion les associations, l’ARAC et la CEP notamment, proposent un programme souvent dense combinant les aspects festif, artistique, et la découverte de la culture vietnamienne. Repas, spectacles, défilés de mode, démonstration d’arts martiaux, temps religieux à la pagode et à la chapelle et réflexions autour de l’histoire du CAFI et de l’Indochine française, rythment deux à trois jours de festivités.
Repas à l’occasion des Rencontres du 15 aout
Le Nouvel An Vietnamien (en janvier-février) constitue un autre temps fort au CAFI. A ses débuts, le Têt n’était fêté que par les habitants du CAFI (une note du directeur du CAFI précise d’ailleurs que la manifestation ne doit pas déborder de l’enceinte du camp). Mais avec le temps, et l’intégration dans la ville, le Nouvel An a fait l’objet d’une manifestation plus ouverte : écoles venant assister à la danse de la Licorne, grand repas proposé à la salle polyvalente et défilé dans les rues de Sainte-Livrade et devant la mairie.De plus, pour célébrer ce moment important, l’Association des Arts et Cultures d’Indochine, en lien avec la MJC a régulièrement proposé des spectacles, concerts et films, à l’intention des résidents du CAFI.
1956 -1977 : invitations à la fête du Têt
Le Têt, Nouvel vietnamien à Sainte-Livrade-sur-Lot, 2017/2018
JUILLET 2018 : Remise des Képis blancs au CAFI (Légion étrangère)
La vie du CAFI a toujours été ponctuée d’événements plus ou moins réguliers en rapport avec les cultures et l’histoire de l’Indochine.
Le sujet a été abordé lors de nombreux colloques dont certains ont été organisés sur place.
Et le CAFI est régulièrement le lieu de commémorations diverses : poses de stèles, remise des Képis blancs (Légion étrangère, 2018), etc.
En 2006, pour commémorer le cinquantenaire de l’arrivée des familles d’Indochine, des manifestations ont été organisées par les associations du CAFI et les pouvoirs publics : Commémorations, une exposition avec reconstitution des logements et du dispensaire du CAFI. Les calicots créés à cette occasion sont aujourd’hui exposés dans le bâtiment dédié au lieu de mémoire du CAFI. Et pour faire connaître cette histoire une version itinérante de l’expo, réalisée par la bibliothèque départementale, circule dans les écoles.
Trois stèles ont été installées sur le site, dont deux rassemblées dans un mémorial :
En juillet 2012, un comité scientifique et historique (rassemblant des archivistes, sociologues, historiens, élus, ministère de la Culture) est nommé pour prolonger la réflexion sur le lieu de mémoire et énoncer des préconisations quant à sa réalisation. Lors de sa première séance il prend connaissance de l'étude de phasage des travaux menée par les architectes, Stéphane Thouin et Paul Vo Van, sur la réhabilitation de la pagode et de l'un des quatre baraquements préservés. Pour le comité, la question de la mémoire dépasse le cadre du seul CAFI, il est donc proposé l’élargissement à la mémoire de l’histoire de la France en Indochine.L’idée d’un lieu de mémoire fait d’emblée l’objet d’un consensus de l’ensemble des acteurs mais sa mise en œuvre se fait au cours d’un long cheminement et par étapes.
Ce sont les Archives départementales du Lot-et-Garonne qui ont classé et répertorié le fonds conservé au CAFI, que lui a transféré la ville de Sainte-Livrade en 2005.Pour le comité scientifique, la recension des documents sur le CAFI autant que sur l’histoire de l’Indochine en France est envisagée comme ressource pour la création d’un site internet conçu comme un élément de mémoire.Une archiviste (Fanny Brée) est recrutée sur une durée d’un an pour faire l’inventaire des documents existants tant au niveau du CAFI qu’au niveau national et même à l’étranger Une base de données, accessible sur ce site, permet aujourd’hui de consulter plusieurs centaines de documents d’origines diverses : Archives Diplomatiques, Service Historique de la Défense, Archives Départementales, INA , Croix Rouge, Missions Etrangères de Paris et de nombreux documents préservés par des particuliers, des chercheurs et les associations du CAFI.
Une partie des bâtiments sauvegardés est restaurée et accessible.
En 2019 les autres bâtiments, dont le local abritant une des associations, sont dans leur état d’origine.Le site reste ouvert au public et des visites sont organisées en été par les associations, l’accueil de groupes est assuré et les Archives départementales et le Pays d’Art et d’Histoire de l’Agglomération du Grand-Villeneuvois proposent des animations pour les scolaires.Le travail sur un projet muséographique autour des quatre bâtiments préservés se poursuit.
Témoins du CAFI : Mémoire et réhabilitation
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