L’évolution du CAFI s’analyse suivant différents angles qui mettent parfois en valeur les contradictions de l’administration, sa fermeté et les preuves d’humanité de la part des équipes d’encadrement :
La tutelle du CAFI, c’est-à-dire les ministères et l’administration chargés de sa gestion, a changé environ douze fois depuis sa création.
Le choix des tutelles est significatif de la perception qu’avait l’administration de ces centres. Après les ministères des Relations avec les Etats Associés (Viet Nam, Laos, Cambodge), ce furent le ministère des Affaires étrangères et le ministère de l’Intérieur. Puis la tutelle prit un caractère plus humain, avec la création d’un ministère (ou secrétariat d’Etat) aux Rapatriés. L’administration fut aussi confiée aux ministères des Affaires Sociales, de la Population ou de la Solidarité avec les Rapatriés.
Ces changements se font au gré des relations avec les Pays de l’ex Indochine (Etats associés), puis des changements de gouvernements, d’appellation des ministères ou de la création de services. Dans le dédale de l’administration française, ces modifications se résument parfois à un simple changement de numéro de bureau.
En 1980, après de longues années de négociations avec les ministères, notamment l’armée propriétaire du terrain, l'État signe une convention de cession du CAFI avec la commune de Sainte-Livrade-sur-Lot. La ville acquiert le terrain, mais devient aussi gestionnaire du centre. Le CAFI, « municipalisé » reçoit des subventions de fonctionnement de l’État et continue d’être géré par le même directeur mis à la disposition de la ville. Les subventions seront supprimées en 2001 mais la municipalité intentera une action en justice à l’encontre de l’État et sera dédommagée en 2016.
Au CAFI la population a beaucoup évolué :
Les mouvements de populations sont donc variés et ne sont pas toujours répertoriés, il est difficile d’obtenir un chiffrage complet de l’occupation du centre sur une cinquantaine d’années. Et il est tout aussi difficile de différencier « ayants droit » et « non ayants droit ». Les chiffres présentés dans les tableaux suivants sont issus de divers documents consultés aux Archives départementales du Lot-et-Garonne.
La configuration du site n’a cessé d’évoluer au fur et à mesure de la création ou de la disparition de certains services et activités : école, chapelle, pagode, commerces, dispensaire, MJC, atelier de chaussures, garages, magasins (entrepôts), locaux loués aux coopératives agricoles, etc.
La configuration des logements a elle aussi toujours évolué. Si, selon l’arrêté Morlot « Les modifications dans la composition des familles hébergées n'ouvrent pas droit à l'attribution de locaux supplémentaires », certaines familles ont demandé et obtenu l’autorisation de disposer d’un logement plus grand à l’occasion d’une naissance par exemple.
AFFECTATION DES BATIMENTS au 1er janvier 77 (source AD 47 2327W0873)
Dans l’ensemble, et avant la réhabilitation du site, il n’y a pas eu de grands changements durant cinquante ans. Quelques travaux extérieurs ont permis d’améliorer le cadre de vie : suppression de la clôture, création d'un terrain de sport, éclairage public, aménagements paysagés, réfection des routes, boites aux lettres, etc.
Il a bien fallu aussi combattre l’insalubrité des lieux (désinsectisation, dératisation) et améliorer les conditions d’hygiène (douches collectives). En 1999, la municipalité entreprend aussi des travaux de réparation et de rénovation d’urgence des logements (douches, portes, fenêtres). Mais ce sont surtout les résidents eux-mêmes qui ont, tant bien que mal, amélioré leur confort intérieur et leur environnement proche (toilettes, auvents, petites dépendances, jardins, etc.).
Deux rapports de l’IGAS, l’Inspection Générale des Affaires Sociales, présentent en détail la situation du CAFI en 1984 et 2006 :
Qu’il s’agisse de rénover, de reconstruire, ou tout simplement de « vider le camp », la résorption du CAFI a toujours été souhaitée par les élus locaux et l’administration. Mais le chemin fut long.
Le 1er février 77 le Conseil Municipal de Sainte Livrade donne un avis favorable pour achat (20 500 francs) des quatre bâtiments du « Camp des Espagnols » qu’elle loue à l’Etat depuis 1950. Ces bâtiments seront détruits (en octobre 80 les habitants sont relogés au CAFI) pour laisser place à de nouveaux logements sociaux, « la cité du Moulin du Lot ». Les nouveaux logements, livrés en 1985, sont réservés en priorité aux résidents du CAFI. Particularité culturelle, chaque appartement comporte une alcôve susceptible d’abriter un autel à Bouddha ou aux ancêtres. Cependant, l’affluence n’est pas telle qu’espérée. Si quelques personnes, enfants de rapatriés surtout, s’y installent, peu de femmes âgées y emménageront et certaines feront le choix inverse du retour, préférant les baraquements inconfortables mais au cœur de la communauté plutôt que les logements modernes mais à distance des amis et voisins.Ces quatre bâtiments n’étaient pas partie intégrante du CAFI mais on assiste toutefois à un début de réhabilitation du quartier.
Pour le CAFI lui-même le chemin vers la rénovation sera encore long. La volonté et l’action ne manquent pas, mais les changements politiques et les lenteurs administratives non plus. Il faut aussi compter sur les associations des résidents qui souhaitent être associées au projet et ne veulent pas d’un nouveau déracinement pour les anciens.Pendant près de vingt ans, les réflexions sur le devenir de la cité d’accueil se tiennent essentiellement entre les autorités locales et nationales. Une commission interministérielle est même créée pour aborder l'avenir du camp en différents termes : résorption puis reconversion, parfois transformation ou requalification, rénovation. Sous cette diversité d'appellations, la perspective est identique : la démolition du bâti existant et son remplacement par des logements sociaux neufs. S’il est très tôt prévu d’intégrer des lieux de culte (catholique et bouddhique) et les commerces existants il s’agit cependant de la disparition du camp, lieu de vie des rapatriés d’Indochine.
La commune devient propriétaire du site (la convention d’achat du 2 juillet 1980 prévoyait la résorption du camp). Et durant 25 ans la réhabilitation du CAFI va susciter le débat et faire l’objet de plusieurs projets parfois contradictoires.
La Compagnie d’Aménagement Rural d’Aquitaine (CARA) réalise une étude sur l’ensemble de la commune en vue d’un projet global d’aménagement à des fins de développement. Dans cette étude, une attention particulière est portée au CAFI. La disparition du camp est envisagée mais il est préconisé d’en maintenir la mémoire : aménagement de l’espace (plantes asiatiques sous serres, en jardins vivriers), maintien des commerces, équipement touristique, tout en respectant le plan de masse originel. La mémoire occupe une partie importante de la réflexion avec la proposition de logements permettant à d’anciens habitants d’y revenir et de « proposer une partie de ce site à la communauté asiatique élargie en France ».
La ville entreprend des travaux d’urgence sur tous les logements. A la même époque un projet de reconstruction est proposé par l’agence Urbane (Toulouse). Il propose un habitat « en bande » pour respecter l’organisation générale du quartier, et la création de gites. Ce projet proposait un principe qui a été adopté par la suite, celui de la démolition/reconstruction progressive pour ne pas déplacer les résidents pendant les travaux.
Des études de réhabilitation sont lancées sous la maîtrise d’ouvrage de la commune.
Une enquête sociale est lancée par la MOUS (Maîtrise d’œuvre urbaine et sociale), enquête semble-t-il boycottée sur consigne d’une association de résidents. La même année le PACT habitat et développement de Lot-et-Garonne fait réaliser une étude d’aide à la décision en vue de la programmation technique de l’aménagement et de la requalification du CAFI. Le rapport paru en 2005 comporte une enquête sociale auprès des habitants du CAFI et des éléments d’approche architecturale et urbaine.Le 20 novembre de la même année, les résidents du CAFI manifestent dans la rue pour montrer leur détermination à être associés à tout projet de réhabilitation
La population est invitée à prendre connaissance du projet de requalification du CAFI présenté par le cabinet Brassié d’Agen (le premier projet de cette agence ne sera pas retenu, de même qu’un projet plébiscité par les résidents du CAFI).
Depuis 2003 les élus, et notamment l’adjointe au maire Marthe Geoffroy, donnent beaucoup de visibilité au dossier et travaillent à convaincre tous les décideurs de l’urgence du projet de réhabilitation du site. Le 25 octobre 2003 lors d’un colloque au Sénat sur le « rôle des associations dans la sauvegarde de la mémoire de l’Indochine » Georges Moll (association Mémoire d’Indochine) et Marthe Geoffroy font une intervention remarquée.
En juin 2004, M. Mekashéra, secrétaire d’Etat aux rapatriés visite le CAFI. Sans doute a-t-il ensuite défendu le dossier auprès de Catherine Vautrin, secrétaire d’État à l’Intégration et à l’égalité des chances en charge de l’ANRU, l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine. Celle-ci accepte de prendre en charge le projet de manière exceptionnelle. Un comité de pilotage est mis en place en novembre 2004 pour constituer le dossier, les associations du CAFI n’y participent qu’à titre d’invités.
La "reconstruction" du CAFI est enfin annoncée fin février 2006, (accord signé en janvier 2008). Elle sera pilotée par la SEM 47. L’ANRU prend en charge 80% des études et 100% de la démolition. Les nouveaux logements seront confiés à des bailleurs sociaux : Habitalys, Clairsienne et Ciliopée. L’opération prévoit 100 unités de vie, d’une capacité minimum de 200 personnes, la relocalisation des deux commerces, et la préservation d’un lieu de mémoire autour de quatre anciens bâtiments qui seront préservés. Le coût total est estimé à 15,3 millions d’euros. Les travaux seront organisés par tranches, les résidents n’auront pas à quitter leurs anciens logements avant de prendre possession des nouveaux.
Les deux commerces sont relocalisés (les commerçants acceptent une location-vente sur quinze ans). Puis les bâtiments sont détruits les uns après les autres et les habitants relogés au fur et à mesure. La commune prend en charge la voirie, l’eau, l’éclairage public et les espaces verts.
Les logements ont été conçus selon les normes de la Très Haute Performance énergétique. Les maitres d’œuvre de ce nouveau quartier n’ont pas oublié son histoire récente. Certains lots rappellent l’habitat en bande des anciens bâtiments, d’autres ont une note asiatique, couvertures à larges débords, teinte rouge. Une consultation a été organisée pour baptiser les ilots et les rues : Cochinchine, Bambous, Annam, Tonkin,etc… La Résidence Cochinchine (42 logements Habitalys, agence d’architecture Greenwich 0013 ) a été lauréate « Habitat Groupé & Collectif » du Palmarès 2014 de l’architecture et de l’aménagement de Lot-et-Garonne.
A Sainte-Livrade, qu'est-ce que dire adieu à l'ancien CAFI ? C'est accepter qu'une page se tourne en prenant acte de la destruction des vieilles baraques qui ont laissé place à de splendides pavillons relevant du logement social. Il ne reste plus rien de l'ancien CAFI hormis les quatre bâtiments préservés en vue d'un projet mémoriel. Pour certains, la réhabilitation est arrivée trop tard alors que pour d'autres, elle arrive presque trop tôt. Beaucoup apprécient d'avoir enfin des conditions d'habitat décentes, voire confortables. Cependant, les plus anciens ne voulaient pas quitter leurs baraques car c'est là qu'ils s'étaient trouvé des racines.
Ainsi, Madame Le Crenn, décédée en avril 2011 à 90 ans, deux semaines après avoir été relogée dans un pavillon flambant neuf ; ou encore Monsieur Lejeune qui avait dit qu'il mourrait avant qu'on ne le contraigne à quitter sa baraque : c'est ce qui s'est passé alors qu’il avait 92 ans. C'est donc à la physionomie ancienne d'un lieu que l'on a dit adieu puisqu'on ne peut plus désormais le retrouver ainsi, sinon sur de vieilles photos. Toutefois, l'âme du CAFI est toujours là, à travers les rapatriés et leurs descendants qui souhaitent que leur histoire soit connue et reconnue. Si une page se tourne, la suivante est encore à écrire !
D’après Sandrine LACOMBE, pour la revue Ancrage
Parcours au sein du CAFI en 2018
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