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Ouverture et organisation du CAFI

La nouvelle affectation du camp du Moulin du Lot

Dès septembre 1955, un navire transportant 267 rapatriés civils français d’Indochine est attendu dans le port de Marseille. D’autres suivront les mois suivants. Les préfets sont invités par le Président du Conseil à recenser les colonies de vacances, casernements, locaux domaniaux et autres centres d'hébergement disponibles pour l’accueil de ces populations déracinées.

C’est le 23 septembre 1955 que le préfet Lot-et-Garonne apprend que l’armée est disposée à mettre à disposition deux camps militaires désaffectés dans le Villeneuvois. Ceux-ci ont été construits en 1939 pour loger le personnel d’une poudrerie qui ne verra jamais le jour. L’un, au lieu dit « Astor » sur la commune de Bias, offre une capacité d’hébergement de 800 personnes (19 baraquements) ; l’autre, le camp du Moulin du Lot à Sainte-Livrade-sur-Lot, est constitué de 36 bâtiments en brique de 50 mètres de long susceptibles d’accueillir 1500 personnes en logements séparés. Quatre bâtiments (le camp des Espagnols) sont déjà loués par la mairie depuis 1950 pour héberger des familles nécessiteuses.

La Commission Interministérielle pour les Rapatriés d’Indochine retient cette proposition et en décembre le ministère des Affaires étrangères désigne M. Rudler, ancien fonctionnaire de la garde d’Indochine, pour établir un avant projet d’aménagement du site. 32 bâtiments seront affectés au séjour des rapatriés d’Indochine. M. Rudler sera le premier directeur du camp.

Les baraquements militaires sont très dégradés et des entreprises locales sont chargées des réparations et de l’aménagement adapté à la vie familiale. Les bâtiments sont divisés en logements de trois à quatre pièces. La cuisine est équipée d’un évier, mais pour les sanitaires les conditions restent celles des militaires : pas de salles de bains et latrines à l’extérieur. Des douches collectives seront installées en 1962.

L’armée fournit une partie de l’équipement. Le ministère des Affaires étrangères passe des marchés avec les commerçants de la région. C’est le cas de la société Bayle à Bordeaux qui, dès avril 1956, pourvoit aux besoins en literie, tables et placards de cuisine, buffets. Les logements sont également équipés de poêles à charbon. Malgré ces aménagements, les conditions de vie dans ces logements demeurent spartiates, bien en deçà du cadre de vie des familles au Vietnam : maisons confortables, domestiques, climat moins rude que le froid hivernal particulièrement rigoureux en France en 1956.

Le camp du Moulin du Lot prend alors une nouvelle dénomination, le CARI : Centre d’Accueil des Rapatriés d’Indochine. Celui d’Astor à Bias, en sera une annexe. 

 

La Commission Interministérielle pour les Rapatriés d’Indochine

Cette commission, créée en 1955, s’est régulièrement réunie à Paris, notamment entre 1955 et 1958, pour organiser le rapatriement de Français d’Indochine et suivre leur installation en France. La lecture des comptes rendus de réunions nous donne beaucoup d’indications sur les conditions de départ des rapatriés à Saigon, sur la recherche de sites d’hébergement et les problèmes de réinsertion en métropole. Il en ressort aussi que, dès qu’est décidé le rapatriement, la commission envisageait des solutions d’hébergement et de soutien à très long terme.

 

LE PROJET D’ANNEXE DE LA POUDRERIE NATIONALE DE BERGERAC.

A l’origine du camp du Moulin du Lot de Saint-Livrade : des baraquements destinés à loger les ouvriers d’une annexe de la poudrerie nationale de Bergerac dont les travaux furent stoppés en 1940 et qui ne vit jamais le jour.
Quatre autres camps ont été construits à cette occasion : les camps de la Glaudoune et de la gare à Casseneuil, le camp d’Astor à Bias et le camp de Carrère à Villeneuve-sur-Lot.
Tous ont déjà été occupés durant plusieurs périodes : les bâtisseurs de la poudrerie, dont de nombreux Espagnols, des réfugiés français et belges de la débâcle de 1940, des aviateurs en formation, etc.

En savoir plus

 

 

Les premiers rapatriés

La majeure partie des rapatriés a voyagé en bateau de Saigon à Marseille. Certains sont hébergés durant plusieurs semaines à l’hôtel, chez des particuliers et dans des camps de transit du sud de la France. D’autres ne passeront que quelques jours à Marseille avant de rejoindre un centre d’accueil. Comme le précise l’administration, il n’y a pas eu de « triage » à l’arrivée, la répartition dans les centres s’est faite en fonction des logements disponibles.

Au total, 1 160 rapatriés dont 740 enfants prendront le train de nuit vers Agen. Ils y sont accueillis par la Croix-Rouge puis dirigés en bus vers le CARI. Les premiers rapatriés arrivent à Sainte-Livrade les 20, 21 et 27 avril 1956. Il s’agit d’environ 50 familles, soit 400 personnes, ce qui correspond à la capacité d’accueil du centre qui, à cette date, n’est pas encore totalement aménagé. Les arrivées seront nombreuses jusqu’en octobre 1956. En novembre, l’effectif du centre s’élève à 1211 personnes dont :

  • 165 hommes
  • 292 femmes
  • 754 enfants mineurs (moins de 21 ans) dont 605 enfants de moins de 14 ans.

Puis les arrivées s’échelonnent, mais en moins grand nombre, sur une dizaine d’années.

Suivant sa composition, chaque foyer se voit attribué un logement et de l’équipement. Tout est inventorié, meubles, ustensiles de cuisine, literie, etc. Tout devra être restitué au moment du départ à moins d’un don accordé par l’administration.

Durant les premières années, il y a eu des transferts d’un camp à l’autre, notamment entre Sainte-Livrade et Noyant d’Allier, en fonction des opportunités de travail. Puis, en 1962, les familles encore hébergées au camp d’Astor à Bias et au centre de Noyant d’Allier sont déplacées vers Sainte-Livrade-sur-Lot. Entre 1956 et 1966, le CARI accueillera 1487 personnes, soit 243 familles. Quelques-unes arriveront encore en 1968 ainsi que des personnes isolées, anciens militaires, notamment.

S’ils sont tous regroupés sous l’appellation « rapatriés d’Indochine », c’est en fait une population socialement et culturellement hétérogène. Les Vietnamiens sont majoritaires, mais on relève aussi des familles d’origine indienne, laotienne, ou encore issues des minorités du Vietnam comme les Hmongs. Les enfants sont nombreux, le plus souvent eurasiens issus d’unions mixtes entre femmes indochinoises et colons, fonctionnaires ou militaires français de métropole ou des autres colonies.
Compte tenu des divers mouvements de population, on estime que près de 3 000 personnes sont passées au CAFI, avec pour conséquence une spectaculaire augmentation des effectifs communaux. Sainte-Livrade-sur-Lot comptait 3 532 habitants au recensement de 1954, et près de 5 300 en 1962 soit plus de 49% d’augmentation en huit ans.

 

 

 

Du CARI au CAFI

L’appellation CAFI (Centre d'Accueil des Français d'Indochine) remplace celle de CARI (Centre d'Accueil des Rapatriés d'Indochine) dans les années 1960. Plusieurs raisons sont invoquées :

  • En 1966, après la fermeture du centre de Noyant d’Allier, celui de Sainte-Livrade devient le seul site hébergeant des rapatriés d’Indochine et passe sous la tutelle des Affaires sociales.
  • Le terme « rapatrié » disparaît. Le « F », souligne la nationalité française plutôt qu’une situation d’exil, et marque la différence avec les Harkis du CARA (Centre d'accueil des Rapatriés d'Algérie).
  • Certains attribuent ce changement à une volonté d'ôter aux résidents le droit à se revendiquer comme rapatriés dans les termes de la loi de 1961.

Rapidement on adoucira aussi la terminologie en parlant de " Cité" et non plus de "Centre d’accueil".

 

 

Témoins du CAFI : Les premiers Rapatriés

 

Sainte-Livrade et le CAFI en 1967
Extraits du film : Les Génies des Quatre Palais, ©cnrs


L’organisation du centre

Le CAFI conserve toute son allure militaire, austère, avec ses baraquements alignés, sa place centrale et sa clôture. Avec le temps, les habitants s’approprieront les lieux. Ils y apporteront une touche vietnamienne en faisant pousser à l’extérieur des plantes décoratives, aromatiques ou potagères, et même des lotus dans de petits bassins. Quelques petites surfaces supplémentaires donneront naissance à des jardins et des poulaillers.

Dès 1956, certains bâtiments sont affectés à diverses fonctions, sociales, médicales, administratives, religieuses ou éducatives qui transforment le camp en une sorte de village.

  • L’administration occupe un baraquement dans lequel sont installés les bureaux du directeur, de son adjoint et du secrétariat. Une équipe d’ouvriers est en charge de l’entretien et des réparations, et durant quelque temps, un gardien aura en charge la surveillance du camp. Un chauffeur est habilité à conduire les véhicules du centre, dont un fourgon pouvant transporter huit personnes.
  • La majorité des rapatriés étant de confession catholique, une chapelle est installée dans l’un des baraquements près de l’administration. Quelques travaux, l’apport de mobilier, d’accessoires religieux et la décoration par les fidèles eux-mêmes, en font un cadre religieux à part entière à partir de l’automne 1956. Deux missionnaires se succèderont pour encadrer religieusement leurs ouailles jusqu’en 1995 (le père Viry et le père Gautier).
  • Les bouddhistes réclameront aussi l’implantation d’une pagode en 1962.
  • Un dispensaire est créé. Un médecin, un infirmier puis une assistante sociale y officieront, notamment le docteur Daoulas à partir de 1964. Plus tard un centre de dialyse sera installé près de l’administration.
  • Une grande salle de fête est réservée aux festivités organisées par l’administration, comme Noël ou l’important jour de l’an vietnamien ou encore pour les bals. Un foyer est aussi créé en 1959, avec une salle de lecture. Un terre-plein central est aménagé en terrain de sport.
  • Une école est également aménagée dans les anciens baraquements militaires. A la rentrée d’octobre 1956, 356 enfants sont répartis dans dix classes allant de la maternelle à la classe de fin d’études.
  • Les enseignants, s’ils le souhaitent, disposent de logements sur place. A la différence des « ayants droits » comme on appelle les rapatriés, ils disposent d’un peu plus de confort, notamment d’une salle de bain et de toilettes à l’intérieur de leurs logements.

Avec la création de commerces à l’intérieur du centre et la présence de commerçants ambulants, les résidents du CARI disposent de tout pour vivre en vase clos

De 1968 à 1976 :

Le constat d’un enclavement  préjudiciable à l’intégration suscite deux initiatives qui concourent à favoriser les rencontres avec la population locale :

  • Une fabrique de chaussures, annexe de l’usine Housty de Miramont-de-Guyenne, est installée en 1968. Elle fermera ses portes en 1976.
  • La MJC de Sainte-Livrade est créée en 1967 au sein du CAFI, et y restera jusqu’en 1987.

Affectation des 32 bâtiments du site

(cette affectation évoluera au fil des ans)

  • 23 bâtiments : logements des rapatriés
  • 4 bâtiments centraux : Garages, magasins, ateliers, foyer, pagode
  • 2 bâtiments : groupe scolaire
  • 1 bâtiment : administration
  • 1 bâtiment : douches, (1962)
  • 1 bâtiment : chapelle et logements du personnel

Comptabilisation des logements du centre en 1959

  • 92 logements de quatre pièces
  • 138 logements de trois pièces
  • 46 logements de deux pièces

Un dispositif administratif est prévu pour accompagner les familles dès leur arrivée et tout au long de leur séjour dans le camp. La direction du centre est confiée à d’anciens fonctionnaires ayant servi dans les différentes colonies françaises et qui ont, de ce fait, une approche des rapatriés très marquée par un esprit colonial, souvent paternaliste parfois même autoritaire. Certains témoins évoquent l’obligation d’assister à la levée du drapeau, et le couvre-feu à 22h.

L’hébergement est étroitement encadré. L’administration craint le laisser-aller et les abus : les rapatriés doivent s’intégrer par la formation et le travail et ne pas profiter indûment des aides réservées aux indigents. Désarmés, les directeurs des différents centres envisagent des mesures coercitives (fermeté, suppression des aides) et participent à l’élaboration d’un règlement officiel en mai 1959, « l’arrêté Morlot », du nom d’un chef de cabinet du ministère, qui régit la vie des résidents, instaure des droits mais surtout des devoirs et des restrictions inconnues du citoyen ordinaire. Cet arrêté semble à l’origine des troubles de 1959. De fait, les rapatriés ne sont pas considérés comme des habitants ordinaires, ce sont des « ayant-droits » au statut précaire. L’objectif est d’inciter au départ et les conditions de vie dans le camp ne favorisent pas l’installation à long terme.

Le moindre signe extérieur de richesse (voiture, mobylette, téléviseur, etc.) peut entrainer la perte du statut d’ « ayant-droit » et donc l’obligation de quitter les lieux.

L’ensemble du site est clos de grillage, le seul accès est le portail principal. Les visiteurs doivent se faire connaître de l’administration et la durée de leur séjour est contingentée (permis de séjour nécessaire pour une durée qui ne peut excéder 30 jours). Si les habitants sont « libres d’aller et venir » les archives contiennent de nombreux courriers de résidents adressés avec déférence au directeur du centre pour demander l’autorisation de s’absenter plusieurs jours.

Au fil des ans, le règlement sera assoupli, le grillage de l’enceinte disparaitra.

D’un ministère à l’autre, la tutelle et l’administration du camp ont régulièrement changé au fil des ans. Le dernier directeur, M. Durney, est parti dans le courant des années 1990. En 1981 la commune était devenue propriétaire du site, en charge des derniers ayants-droits avec le soutien de l’Etat.

 

Ayants droit

Sont considérés comme « ayants droit » les personnes ayant acquis la qualité de rapatriés en 1956, leurs épouses et leurs enfants à charge. En sont donc exclus, leurs enfants devenus majeurs, les membres de leur famille qui les auraient rejoints ultérieurement, les concubins ultérieurs et les rapatriés d’origine revenus au camp après l’avoir quitté (texte repris dans la convention de 1980, signée entre la commune et l’Etat).
Les ayants-droits sont déchargés de leurs dépenses de loyer, de toutes les charges y afférentes et des réparations. Ils peuvent percevoir des allocations de secours, de chômage ou de vieillesse.

Décembre 1967 : à propos des antennes TV

Les résidents demandant l’autorisation de mettre des antennes sur les toits, l'administration pense la chose impossible pour cause de risque de détérioration des toits. L'installation d'une antenne collective, proposée par un commerçants livradais est, elle,  jugée trop coûteuse. La difficulté sera contournée puisque de nombreuses antennes seront installées dans les combles.

 

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