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Annexe : Les requis et tirailleurs indochinois stationnés à St-Livrade-et-Bias (1948-1952)

Sous le vocable de requis, qui fait référence à la loi sur la réquisition de 1938, il faut entendre des individus requis en remplacement des hommes partis sur le front ou encore des supplétifs des forces armées françaises.

En 1939, les jeunes Indochinois issus de familles composées d'au moins deux hommes en âge de travailler ou de combattre furent engagés pour contribuer à l'effort de guerre de la France.
Cette réquisition devait être levée dès que les événements se seraient adoucis (fin du conflit) et par conséquent les Indochinois rapatriés vers leur terre d'origine.
Ce ne fut pas le cas dès lors que les liaisons maritimes dont le contrôle était confié alors aux Britanniques étaient interrompues. Ce n'est qu'à partir du second semestre de l'année 1951 que ces dernières seront rétablies si bien que le rapatriement des Indochinois ne pourra prendre fin qu'à la fin de l'année 1952. Seuls demeureront en France ceux qui, soit parce qu'ils avaient trouvé un emploi, soit parce qu'ils ont fondé une famille avec une fille de la localité, auront choisi de s'établir définitivement en métropole.

Durant leur cantonnement sur le site de Sainte-Livrade, leurs occupations principales se résumaient en la pratique d'activités sportives et de jeux tels que les jeux de cartes et de ballon. C'est ce qui leur vaudra d'être traités d'oisifs par la population environnante. Il n’en demeurait pas moins que les sorties lors des fêtes de village faisaient l’objet de rencontres avec les femmes locales qui, pour certaines, leur donneront des enfants entraînant leur installation définitive dans la région.

Mais aussi et du fait des motifs leur ayant valu d'être « internés » sur ces deux sites, certains d'entre eux s'adonnaient à un activisme politique.
C'était l'époque où le président Ho Chi Minh était présent en France pour participer à la Conférence de Fontainebleau prévue pour débuter au mois de juillet 1946.
Cette conférence avait pour but d'entériner les accords passés le 6 mars précédent avec Jean Sainteny, haut-commissaire de la République en Indochine pour la reconnaissance d'une République Démocratique du Vietnam disposant d'institutions propres mais demeurant toutefois au sein de l'Union Française Elle se conclura par un échec.

Les événements ne sont pas passés inaperçus auprès des requis cantonnés à Saint-Livrade et à Bias mais aussi des tirailleurs indochinois stationnés à Agen. Dans les casernes ce fut l'effervescence car la visite de l'oncle Hô était attendue par les militaires stationnés dans les casernes.
Ces derniers étaient persuadés que la France ne voulait pas d'une émancipation du Vietnam réclamée par Hô Chi Minh car l'Amiral d'Argenlieu, chargé par De Gaulle de rétablir la souveraineté de la France sur ses territoires d'outre-mer en était un fervent détracteur.
Du fait de l'échec des négociations menées à Fontainebleau par Hô Chi Minh, sa visite dans les casernes d'Agen sera remise en question, causant l'incompréhension des militaires proches des mouvements anticoloniaux du Vietminh. Cela se traduira par des réunions secrètes où se discutaient les modes de protestation ou de révolte visant à réclamer leur rapatriement vers leur pays d'origine et une amélioration de leurs conditions d'existence.
C'est dans ce contexte qu'en avril 48, les camps de Sainte-Livrade et de Bias accueillirent le groupe d'Indochinois des 44e et 49e compagnies appartenant à la 4e Légion de Travailleurs Indochinois de Toulouse, alors stationnés à Bergerac.
Le groupe était composé de quelques 1680 individus réfractaires. Considérés comme les plus dangereux il fallait les rapatrier en priorité. Un an plus tard, en juillet 49, il n'en demeurait que 508 dont 106 étaient affectés à la briquetterie de Libos et 37 chez différents employeurs du secteur, les autres demeurant sans activité. Leur rapatriement devenait donc urgent.

Dans un premier temps, ni l'opinion publique locale, ni les élus locaux ne furent favorables à l'accueil d'un groupe d'individus dont certaines activités allaient impacter l'économie locale.
Déjà, dès l'annonce de la venue du groupe d'Indochinois, le Conseil Municipal de Sainte-Livrade, dans une délibération du 19 avril 1948, vota une motion pour protester contre cette décision éventuelle. Le Maire fit connaître aux Autorités administratives du département son intention de maintenir sa démission ainsi que celle de son conseil municipal si l'occupation du camp par les travailleurs indochinois devenait effective.

Ce ne fut qu'à la suite de l'intervention du lieutenant-colonel Tainton, commandant la 4e Légion de Travailleurs Indochinois de Toulouse que l'attitude du Maire devint plus conciliante. Cependant, une partie de la population livradaise envisageait avec crainte l'arrivée de ces soi-disant « travailleurs » indochinois. Ainsi, la corporation des Tailleurs de Lot-et-Garonne s'insurgeait auprès des autorités préfectorales quant à l'activité de certains Indochinois qui effectuaient des travaux à façon à des prix défiant toute concurrence en direction de la population locale, sans supporter de taxes.

L'activité politique au camp des travailleurs indochinois du Moulin du Lot était importante. Bien que tous les travailleurs ne se mêlaient pas à cette activisme, les documents officiels relèvent le caractère obligatoire des réunions hebdomadaires ou bihebdomadaires au risque, pour ceux qui refusaient d’y prendre part, de subir les châtiments corporels infligés par les Tu Vê, les miliciens vietnamiens. La pratique était largement répandue au sein des camps, qu’il s’agisse de Sainte-Livrade, Bias ou Libos.

Au camp du Moulin du Lot, les principaux meneurs organisaient des réunions au foyer, le samedi vers 18 heures. La présence de tous était obligatoire. Certains surveillaient la route et les abords du camp : à la moindre présence suspecte, l'alerte était donnée et la dispersion immédiatement ordonnée.
Des réunions extraordinaires se tenaient de temps à autre selon l'importance des communications et leur urgence. Les travailleurs qui refusaient la carte de la CGT étaient considérés comme des traîtres et subissaient des brimades de leurs pairs. Dans les villes voisines où stationnaient des travailleurs indochinois - ce fut le cas de Fumel- les tracts vietnamiens étaient largement distribués dans les foyers. Ils portaient en eux les germes de la protestation contre l'arrestation d'un travailleur vietnamien ainsi que l'incarcération de plusieurs délégués vietnamiens de travailleurs indochinois.

Au cours d’un meeting du 27 juillet 1948, sous la Halle de Villeneuve-sur-Lot, organisé par le Comité de Défense de la Résistance, une motion fut adoptée pour protester contre l’arrestation, dans la nuit du 14 au 15 juillet 1948, de 81 travailleurs vietnamiens dont 39 provenaient du camp de Bias et 42 de celui du Moulin du Lot.
Cette motion relevait le fait que « ces arrestations opérées dans la nuit du 14 juillet ont été faites dans des conditions rappelant les méthodes de Vichy et ont frappé exclusivement les délégués de ces travailleurs et uniquement ceux sachant parler le français ».
Les travailleurs français étaient invités à les soutenir en adressant des motions de protestation au gouvernement. C'était là une manière de recourir à l'opinion française locale susceptible de les aider dans leur lutte pour l'indépendance de leur pays d'origine.

Ce n'est qu'en fin 52 que les Indochinois seront rapatriés vers la colonie d'origine où certains continueront leur activité dans les rangs du Vietminh.

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